Zahna Siham Benamor

— La résurrection des fleurs sauvages, microcosmes

Poésie sonore

©Malo Legrand

Nous nous asseyons en haut du champ et Zahna Siham Benamor reste debout. Elle est droite et sombre au milieu de nous. Un rythme de drums commence et la lecture de Zahna Siham Benamor aussi. La voix de Zahna Siham Benamor se cale entre, sur, dans les coups qui résonnent. Le texte et la musique nous frappent derrière le crâne. Zahna Siham Benamor porte un grand voile sur sa tête. Le voile descend sur son visage et ses épaules. Derrière le voile ses traits sont flous, comme s’ils étaient dessinés au fusain. Sa silhouette est grande au-dessus de nous et noire contre le ciel bleu et illuminée par la lumière de plus en plus dorée. Zahna Siham Benamor tient dans ses deux mains un carnet dont la couverture ressemble à du marbre noir. Zahna Siham Benamor lit le texte dans le carnet, comme un livre sacré. La langue de Zahna Siham Benamor martèle des syllabes, ses mots sont super-articulés. Ses dents blanches apparaissent et disparaissent grises derrière le voile. Régulièrement entre les pages, Zahna Siham Benamor lance une incantation. Elle courbe son dos pour onduler plus près de nous, elle relève la tête pour nous regarder et elle siffle “Le sang appelle le sang”. Le texte s’accélère et le volume de la voix de Zahna Siham Benamor augmente. Le texte se répète aussi. “Le médecin m’a fourni du Fentanyl, a tenu un discours important sur l’exxxcitation” dit Zahna Siham Benamor. La folie monte, l’exxxcitation aussi. Au milieu du champ et au milieu du public, Zahna Siham Benamor se dresse et sa silhouette devient encore plus noire. Zahna Siham Benamor parle de maman et papa et moi et moi et je. Sa langue s’embrouille au fur et à mesure que le texte remplit sa bouche. L’exxxcitation devient pâteuse. Zahna Siham Benamor continue d’osciller sous Fentanyl, et toujours, elle finit par se courber. “Le sang appelle le sang, le sang appelle le sang”. Elle nous prévient. L’incantation résonne partout même quand Zahna Siham Benamor ne la prononce pas. Alors le rythme varie et Zahna Siham Benamor se dévoile. Zahna Siham Benamor enroule son voile noir entre ses deux mains, une de ses mains se tend devant elle et l’autre se replie contre son épaule. Zahna Siham Benamor nous vise avec son voile-fusil. Elle vise nos têtes assises par terre et nos têtes font toutes sortes de choses. Il y a des têtes qui se concentrent vers le bas, des têtes qui écoutent vers le haut, des têtes qui oscillent avec le sang qui appelle le sang et des têtes complètement figées. Nous avions froid mais la voix et le rythme de Zahna Siham Benamor nous réchauffent. Zahna Siham Benamor continue de scander et la musique disparaît. Il ne reste plus que sa langue qui claque toujours, sa voix nue toujours traînante et rythmique. Dans la voix il y a l’essoufflement, la salive, le Fentanyl, le sang. Le sang appelle encore le sang, jusqu’à ce que le texte s’arrête. Zahna Siham Benamor nous traverse et elle part en chantonnant. On voit sa silhouette noire de dos qui descend le champ vers la forêt et qui s’éloigne, et pourtant sa voix reste près de nous, diffusée par les enceintes. On se demande si elle s’est détachée de Zahna Siham Benamor pour rester pour toujours au-dessus de la prairie. Quand la voix s’éteint enfin, Zahna Siham Benamor revient de loin, nous attendons qu’elle se rapproche et sa voix qu’elle rejoint dit “Merci”.

 retrouvez ici l’intégralité du texte de Lucie Desaubliaux