Élise Brion

— Babilles

Ballade et écoutes

©Malo Legrand

Nous remontons le champ et nous descendons la route vers la forêt et la rivière. Nous suivons le dos du ciré bleu d’Elise Brion. Nous sommes dix, Elise Brion est venue nous chercher en haut du chemin, elle nous a souri sans rien dire et nous nous sommes mis·es à marcher. Les pieds d’Elise Brion font un bruit de sabots sur le bitume de la route. Le bruit des sabots est incomplet car Elise Brion n’a que deux pieds. Elise Brion nous fait un sourire qui veut dire stop. Elle part seule en bleu dans le sous-bois. La boue fait taire les sabots. Il y a des frôlements de feuilles, personne ne parle. Nous regardons le point de vue à travers les arbres dans lequel Elise Brion a disparu. Nous ne bougeons pas. Nous attendons et nous entendons la rivière. Nous entendons le vent un peu et puis nous entendons un instrument, comme une flûte quelque part dans le point de vue. La rivière ne fait plus de bruit pendant que le vent s’accorde à la flûte. La flûte s’arrête et Elise Brion revient. Elle referme les pressions de la poche droite de son ciré. Elise Brion fait un sourire qui dit continuons. Le vent reste pendant que nous partons. Le sourire d’Elise Brion dit stop devant la route. Elle fait quelques pas sur le bitume et elle souffle la descente d’un scooter invisible dans un kazoo qu’on ne voit pas. Le kazoo passe et la route est vide et nue car le kazoo n’a laissé aucune trace. Les sabots sous les pieds d’Elise Brion repartent le long d’un chemin jusqu’à une clairière. Dans la clairière, il y a des carcasses de voiture, des conserves dorées, une baignoire et un silo couché. Stop, Elise Brion fait un sourire. Le bleu d’Elise Brion disparaît dans le silo. Nous attendons un peu et le silo fait des claquements de grottes, de gouttes de cave. Les clics et les clacs deviennent plus rythmiques et s’organisent dans un nouveau tableau sonore qui s’accroche aux arbres au-dessus. Nous nous arrêtons devant chaque tableau d’Elise Brion et nous écoutons comme pour reconnaître le chant d’un oiseau. Nous sentons que les sons viennent d’ailleurs, d’autre part en dehors. Nous ne voyons jamais ce qui les produit mais ils s’intègrent dans la forêt autour, comme l’herbe très verte qui pousse sur le capot de la voiture renversée derrière nous. Elise bleue Brion sort du silo, elle redescend seule la route jusque derrière le talus et elle disparaît encore. Il y a un claquement plastique de plus en plus fort, comme un pas qui résonne contre la colline, qui se rapproche puis qui faiblit en s’éloignant. Des fois, le pas s’arrête comme s’il hésitait. Au milieu de tous les détails de la forêt, les sons peuplent plus que les images. Le vent reprend à la fin des pas et les sabots et le ciré bleu d’Elise Brion reviennent. Le sourire nous dit de l’accompagner au-dessus de la décharge, au-dessus du vallon et au-dessus de tous les autres tableaux. Sourire, stop, Elise Brion descend une paroi et son bleu disparaît dans les châtaigniers. Alors, on entend la voix d’Elise Brion. C’est elle qui chante, même si on ne la voit pas. Elise Brion chante du jazz et nous regardons la forêt en retraçant tous les sourires-stop par lesquels nous sommes passé·es. Elise chante, et puis juste à la fin, un mouton bêle. Elise revient et elle nous dit un sourire au revoir. 

 retrouvez ici l’intégralité du texte de Lucie Desaubliaux