Joana Teule

— Pêche Bretonne

Cuvée de vin de pêche et branches évidées

©Malo Legrand

Depuis le début de Setu, à côté du champ, il y a un trou. À côté du trou, il y a des pelles. À côté des pelles, il y a un rack avec des bâtons. Nous n’avions pas vraiment fait attention. Maintenant que le sifflet nous rassemble là, il y a Joana Teule à côté du trou. Pas loin de Joana Teule, le bélier regarde. Joana Teule dit “Je vais très peu parler”. Joana Teule explique quand même que chaque année, elle fait du vin de pêche. Cette année à l’époque du vin de pêche, elle est à Setu. Le vin de pêche 2024 sera du Finistère. Pour le vin de pêche, il faut des feuilles de pêcher, qu’elle a récupérées à Quimper. Il faut 99 feuilles, 1 litre de vin, 1 verre d’alcool et 33 morceaux de sucre. Joana Teule nous montre les grandes bouteilles qui contiennent le vin de cette année. Les bouteilles sont cachetées avec de la cire rouge. Maintenant, il faut maintenant mettre le vin en cave pour qu’il soit dégusté l’année prochaine. La cave, c’est le trou aux pieds de Joana Teule. Nous allons descendre le vin dans le trou, reboucher le trou et attendre Setu 2025. Mais avant, il faut déguster la cuvée 2023, que Joana Teule a ramenée avec elle. Joana Teule nous montre les branches sur le rack derrière. Dans chaque branche, il y a à peu près cinq creux bien ronds et ces creux seront nos verres. Il faut trouver des coéquipier·es de branche, des personnes à peu près de la même taille que nous. Nous discutons d’abord pour savoir si on boit ça en shot ou si on choisit des petites lampées. Les branches se baladent au-dessus de nos têtes, les équipes se forment et les branches verticales pivotent à l’horizontale. Nous nous entraînons à boire les trous vides. Le bois est rugueux contre nos lèvres, nous nous rappelons cette sensation de l’époque où nous mettions beaucoup plus de choses aléatoires contre notre bouche qu’aujourd’hui. “On dirait que vous allez jouer de la flûte”, on nous dit. Et puis on nous dit “Service” et nous descendons la branche à hauteur de bouteille. Nous découvrons que le vin de pêche est ambré. Il fait comme un petit miroir rond et cuivré au milieu de la branche. “Le bois boit” nous disons, et les trous prennent chacun leur petite part du vin doré. “Toutes les branches boivent ensemble”, on nous prévient. Nous formons des lignes, toustes relié·es par des branches au-dessus de Joana Teule, comme de grandes tablées sans tables. Enfin, ensemble, les branches se lèvent et pivotent vers nos lèvres. Nous buvons. Le vin est doux, frais et chaud, et piquant. C’est bon. Les branches vides repartent et nous nous rapprochons du trou. Les bouteilles de l’année 2024 y disparaissent. “Le trou est méga profond”, nous entendons et nous entendons aussi qu’il a fallu quatre heures pour le creuser. Tout le monde peut aider à le reboucher. La terre qui tombe au fond du trou fait un bruit moelleux. “C’est un beau trou” et tout le monde est d’accord. C’est un trou découpé net, on voit sur ses parois les strates du sol empilées, avec des fois des trous pour les cailloux disparus. Les bêcheureuses se relayent. Joana Teule a accroché un fil à la plaque en bois qui recouvre les bouteilles au fond du trou. À l’autre bout du fil, dans la main de Joana Teule, il y a un gros caillou. Le fil doit rester tendu pendant qu’on rebouche. C’est le caillou et le fil qui aideront à retrouver la cuvée l’année prochaine. Joana Teule a compté les pas depuis différents endroits pour aider à retrouver la pierre, le fil et le trou. Nous regardons le trou se remplir et la glacière et les bidons bleus à côté, le réchaud qui a chauffé la cire rouge et le torchon vichy par-dessus. C’est un parfait tableau de fin de cuvée.

 retrouvez ici l’intégralité du texte de Lucie Desaubliaux